Le rienafoutrisme selon Franck Louvrier
Le Monde a publié dans son édition datée du samedi 22 août une contribution de Franck Louvrier, conseiller à la présidence de la république pour la communication et la presse. Cette contribution vient s’inscrire dans les pages « Débats ». A la réserve près qu’il n’y a dans ce texte aucun appel au débat. Il s’agit d’une construction intellectuelle improbable visant à mettre sur le même plan la lutte pour la démocratie en Iran et la protection des ayants-droits. Hadopi au secours des jeunes iraniens, il fallait oser pensez-vous ? Mais que n’oseraient pas les équipes de Nicolas Sarkozy ? Rien.
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A grands renforts d’arguties juridiques produites par des pontes engagés pour l’occasion, George Bush et ses équipes ont tenté –et en partie réussi- à faire croire au monde que la torture pouvait se justifier. Tout au moins, que la torture pratiquée par les autoproclamées « forces du bien » n’en était pas vraiment. Ce fut le point d’orgue de deux présidences marquées par le « rienafoutrisme ». Ca ne vous plaît pas ? C’est pareil…
Grand admirateur des Etats-Unis de George Bush, Nicolas Sarkozy n’a pas manqué de reprendre à son compte le « rienafoutrisme ». Et l’inversion systématique du sens consacrant le « règne du faux ». Elle peut se traduire dans les discours quotidiens (« travailler plus pour gagner plus ») comme dans les actions que l’on fait faire aux gens (Arno Klarsfeld, le fils de Beate et Serge Klarsfeld, « triant » les « bons » et les « mauvais » demandeurs d’asile).
De cette perpétuelle inversion de sens, découle inévitablement une sacrée propension au culot. Cela se traduit par des assertions incongrues, voire clairement insultantes pour la raison. Certains (des historiens par exemple) s’amusent à mettre ces incongruités sur le compte d’une certaine inculture. C’est aller un peu vite en besogne. Ajoutez dans un shaker le « rienafoutrisme » et l’inversion du sens, et vous obtenez un cocktail créé de manière tout à fait consciente par son inventeur. Pas question pour lui de se remettre en question une seconde. Pas question de regretter quoi que ce soit. Pas question de se restreindre sur quoi que ce soit (des vacances sur le yacht de M. Bolloré aux voyages dans les avions du même industriel en passant par le népotisme dans son ancien fief). Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux, de la plus grosse connerie à la diatribe la plus insultante possible (le discours de Dakar par exemple). Rien à foutre. Compris ?
Si improbable argumentation il doit y avoir pour faire avaler les couleuvres, elle ne servira qu’une malhonnêteté intellectuelle sans bornes. Car le « rienafoutrisme » efface toutes les frontières, éradique les limites.
La démocratie soluble dans l’Internet
C’est le cas dans le texte de Franck Louvrier. Penchons-nous un instant sur cette incongruité intellectuelle.
Dans un premier temps, le conseiller de Nicolas Sarkozy explique que Twitter est un outil de démocratie en ce qu’il permet aux iraniens de témoigner de ce qui se passe dans leur pays au lendemain des élections présidentielles. Franck Louvrier s’extasie sur le fait que ces nouvelles ( ?) technologies ne peuvent être censurées : « la dynamique de la technologie elle-même finit toujours par permettre le contournement des filtrages et des blocages, qui rend presque obsolète l’idée même de la censure ».
Il passe volontiers sous silence que ces technologies, si elles permettent à certains de contourner la censure, permettent surtout aux Etats de mieux surveiller leurs ressortissants. De fait, combien de contestataires Chinois ont été arrêtés parce que des grandes firmes américaines ont donné aux autorités leurs coordonnées ? Combien de mails « écoutés », filtrés, triés ici même, en France, comme ailleurs ? Combien de fichiers policiers remplis grâce à la surveillance du réseau ?
Alors même que le scandale des figurantes du ministre Luc Chatel fait la Une de quotidiens américains, Franck Louvrier nous explique ensuite doctement que ce qui fait la valeur de Twitter, c’est que l’on peut s’identifier au témoignage qu’apportent les contributeurs. Mais attention, il faut lutter, nous dit-il contre ce qui menace cette valeur : « ce qui menace cette valeur est beaucoup plus sournois que la simple censure : c’est la manipulation. Le faux témoignage (écrit, photo ou vidéo) qui viendrait d’une source déguisée, d’une source officielle et politique qui ne dirait pas son nom pour mieux instrumentaliser l’émotion de ses effets. Ce qui menace Twitter, c’est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux ».
En tant qu’illustre représentant de l’équipe Sarkozy et visiblement, très fin connaisseur des nouvelles technologies, Frank Louvrier ne peut ignorer que des membres zélés du ministère de l’Intérieur, de l’Elysée, ou d’autres ministères ont tenté bien maladroitement il faut le dire, de modifier les contenus de Wikipedia pour éviter qu’ils mentionnent des aspects peu reluisants concernant les membres de l’UMP. Ils expérimentaient sans doute le « potentiel démocratique » d’Internet, comme le souligne dans sa contribution Franck Louvrier. On dirait que l’on est pas très éloigné de ce qui menace Twitter, « la manipulation. Le faux témoignage (écrit, photo ou vidéo) qui viendrait d’une source déguisée, d’une source officielle et politique qui ne dirait pas son nom pour mieux instrumentaliser l’émotion de ses effets ».
Anciennes Technologies
Ceci dit, technologies nouvelles, ou pas, l’équipe dont fait partie Franck Louvrier sait comment modifier la réalité pour qu’elle colle mieux à ses envies. Nicolas Sarkozy est passé maître dans l’art de la manipulation des media. Outre ses amitiés avec les grands patrons de presse qui ont abouti, non pas à des « mises au placard » comme cela avait pu être le cas sous d’autres présidences mais à des licenciements avec coup de pied au cul, Nicolas Sarkozy et ses équipes ont bien œuvré dans le domaine de la censure et de la manipulation de la presse. Un dossier du Canard Enchaîné en dresse la liste. Aporismes.com avait en son temps également relevé les plus grossières.
Par ailleurs, la convocation de faux témoins mais de vrais encartés de l’UMP lors des déplacements du président et de ses ministres est devenu monnaie courante. Histoire de servir à la presse des réactions étonnamment favorables. Une vraie petite industrie du storytelling. En qualité de conseiller à la présidence de la République pour la communication et la presse, il serait étonnant que Franck Louvrier soit totalement étranger à tout ça.
Cette malhonnêteté intellectuelle pourrait se limiter à la critique de comportements pourtant devenus courants en Sarkozie. Mais elle va plus loin et atteint son apothéose dans les écrits de Franck Louvrier quand celui-ci se lance dans un grand écart intellectuel saugrenu : mettre sur le même plan les contestataires iraniens et les artistes défendus par la loi dite Hadopi : « Ainsi il en va de même pour l’étudiant révolté des rues de Téhéran que pour l’artiste qui enregistre sa chanson à Paris : l’enjeu est de s’assurer que la vaste diffusion de son message n’étouffe jamais le lien qui l’unit à chacun de ses destinataires (…) Reconnaître le caractère inaliénable d’un témoignage personnel, tel est le sens profond de la réflexion en cours dans Hadopi, qui rayonne bien au delà de l’industrie du disque, jusqu’au sens de notre vie en commun dans une démocratie ».
Nous ne pourrons jamais assez remercier Franck Louvrier, et la page « Débats » du Monde pour une telle leçon de démocratie.
Mise à jour du 13 octobre 2009 : selon le Canard Enchaîné, le service audiovisuel de la Présidence de la République aurait procédé à la copie illégale de 400 DVD du documentaire de 52 minutes de France 5 “A visage découvert” consacré à Nicolas Sarkozy. Que l’on comprenne bien, le service de Franck Louvrier procède là à une véritable contrefaçon : les DVD ont été recouverts d’une nouvelle jaquette frappée d’un copyright “Service Audiovisuel de la présidence de la République”, alors même que c’est Galaxie Presse qui est titulaire du copyright original. Rien à foutre, rien à foutre, rien à … La décomplexitude est une merveille.
ah ah franck louvrier, l’incompétent dit dans l’article du monde que le lien entre le message et son médium est plus important que le message lui même ! Bref, transposé dans l’univers de la bd que le public ferait mieux d’aller à Angoulème pour collectionner des autographes que pour découvrir de nouvelles bd. Bling bling un jour… C’est bien le problème de leur société de préférer l’emballage au contenu. La forme/apparence au fond/essence. Peut être sinon qu’il faisait de l’humour de mauvais goût, avec les massacres en iran, l’identité du twitter était bien plus importante pour le pouvoir iranien que son message.
[...] Nicolas Sarkozy faisant… ce qu’il fait tout le temps depuis 3 ans… Franck Louvrier mettant sur le même plan les contestataires iraniens et les artistes défendus par la loi dite [...]