Rémunérations des dirigeants : éthique, morale et poudre aux yeux
On vit une époque formidable pleine de paradoxes. Et de perte de sens. Le pire est probablement à venir, mais il n’est pas inutile de s’arrêter quelques instants de temps en temps sur une incongruité plus incongrue que les autres. La presse déborde ces jours-ci à l’échelle planétaire, c’est dire, d’une polémique pour le moins comique. Figurez-vous qu’en ces temps difficiles, les patrons feraient preuve d’un terrible manque d’éthique. Pire, ils seraient en train de se tirer une balle dans le pied en se montrant particulièrement arrogants. En pleine crise financière mondiale, qu’ils ont plus ou moins contribué à créer, ils continueraient de s’augmenter sans vergogne, de se voter des bonus mirobolants et d’engranger des primes de départ dignes des gains du Loto. Et ce, même lorsque leur entreprise a été renflouée par l’Etat, c’est à dire par le contribuable, ses enfants et ses petits enfants.
C’est mal hein ?
Tellement mal que l’hôte de l’Elysée [1] s’en mêle, menaçant les patrons d’une loi encadrant leurs rémunérations. Adieu, stocks-options, salaires, primes, jetons de présence ? En tout cas, si l’on s’en tient au ton doctoral, réprobateur et menaçant de l’hôte de l’Elysée, les patrons ont du mouron à se faire.
Bien entendu, chacun sait désormais que les gesticulations enfantines et autres rodomontades du président, que 53% des Français se sont choisis, sont rarement suivies d’effets. Mais tout de même.
L’encadrement de ces agissements, alors que la très grande majorité peine à survivre au coeur de la crise financière et désormais macro-économique, ne semble-t-il pas naturel ? Peut-on voir dans ces décisions des patrons et de leurs conseils d’administration autre chose qu’une perte du sens du mot éthique ? Une entorse à la morale communément admise par la majorité ?
Ce qui est un peu étonnant, c’est que le président UMP se saisisse de ce problème et tente d’y apporter une réponse de gauche (si vous ne vous auto-régulez pas, l’Etat régulera). Le chantre du libéralisme effréné, du marché roi, de la main invisible fait implicitement le constat que toutes ses certitudes ne résistent pas à la réalité. Tout se perd. Mais il n’est pas le premier à brûler ce qu’il prônait il y a encore peu et à choisir une posture inverse. Le Financial Times, loin d’être un repère de « rouges » a martelé pendant des mois que la crise étant ce qu’elle est, il conviendrait de revenir à une régulation des marchés financiers, ceux-ci ayant fait la preuve de leur incapacité à s’auto-réguler.
Un peu de bon sens aurait suffit pour comprendre cela depuis que le capitalisme est capitalisme, mais tant que ça marche…
La moralisation nécessaire (tout au moins appelée de leur voeux par les dirigeants et la presse) du capitalisme est un autre petit paradoxe révélé par l’actualité. On peut le regretter, mais le capitalisme ne rime pas avec morale.
S’il pouvait réfléchir, le capitalisme se dirait probablement que sa survie dépend d’un équilibre entre deux impératifs. L’un étant de croître, de s’étendre partout et de tenir sa promesse : créer le plus de richesse possible pour une minorité. Comme rien ne se perd et rien ne se crée, y compris dans un système capitaliste aussi parfait soit-il, cette richesse se crée aux dépends d’une majorité qui bien entendu ne profitera pas (ou à la marge) des bienfaits du système. L’autre impératif étant de ménager cette majorité. Car à trop la paupériser, la condamner à n’être qu’une masse virtuellement réduite à l’esclavage, au profit d’une minorité devenue uniquement cupide et gloutonne, ladite majorité risque d’avoir comme une envie de se venger. Et dans ces cas-là, ça finit généralement mal pour la minorité. Et bien entendu, pour le capitalisme.
Mais le capitalisme ne réfléchit pas. C’est un système. Pas une personne. Il peut donc être soumis à des cycles. Et au fil des cycles, il oublie de ménager la majorité qui le fait prospérer.
Poudre aux yeux
Tout ceci étant posé, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce qui fait le coeur de la polémique actuelle, alimentée par les patrons, les fanfaronnades de l’hôte de l’Elysée et la presse. Il s’agit de l’indécence de ceux-là mêmes qui ont participé à ce cycle infernal ayant mené le capitalisme à l’une de ses crises majeures. Leur attitude immorale, leur oubli de l’éthique.
La première question que l’on peut se poser est de savoir s’il s’agit du véritable problème posé aux sociétés qui ont choisi le capitalisme comme système. C’est à dire une majorité de pays.
Probablement pas. Pas plus que la lutte contre l’existence de paradis fiscaux ici ou là. Le problème est intrinsèque au capitalisme. Et à défaut de le régler, par autre chose qu’une régulation des modes de rémunérations des patrons, il est probable que le cycle se finisse comme finit habituellement un cycle du capitalisme. Par une révolution (terme utilisé ici de manière générique).
Mais face à une foule qui gronde et à défaut de détenir le moindre début d’idée pour régler le problème, la minorité désigne volontiers des boucs émissaires. Comportements, groupes de personnes, tout est bon pour canaliser la colère de la foule. Une fois ce résultat obtenu, il suffit d’apporter ce que l’on présente comme une solution pour punir lesdits comportements et boucs émissaires. Dans ce cas : lutte contre les paradis fiscaux et / ou régulation des rémunérations des patrons.
La paille, la poutre, tout ça, tout ça…
C’est une solution qui peut marcher. Pourtant, cette fois, il est possible que cela ne marche pas. Simplement parce que les fondations sont pourries. Pour adhérer à la propagande – de nos jours on dit storytelling, c’est tellement plus doux – menée par un homme, il faut pouvoir croire en lui. Chacun a sa part d’ombre. Reste à la rendre la plus invisible possible. Pour croire en quelqu’un, il est préférable qu’il soit en accord avec lui-même et qu’il suive une ligne éthique proche de la vôtre.
Or que nous dit l’hôte de l’Elysée ? Qu’il veut des résultats et que chacun sera jugé sur ces résultats. A tel point qu’il a mis en place un système d’évaluation des ministres du gouvernement. Maintenant jugeons Nicolas Sarkozy à l’aune de ses propres valeurs. Le président du pouvoir d’achat a-t-il fait en sorte que celui-ci s’améliore ? Non. Au contraire. Ce président qui croyait que le plein emploi était à portée de mains a-t-il fait baisser sensiblement le taux de chômage ? Non. Au contraire. Tous les Français propriétaires ? Pas certain vu le niveau de leur pouvoir d’achat et l’empressement des banques à prêter. Le reste est à l’avenant.
Plus précisément, et si l’on veut coller à l’actualité, il y a en France un grand patron qui a quasiment doublé le déficit de son « entreprise » et fait faire un bond non négligeable à sa dette… C’est Nicolas Sarkozy. Le déficit public Français atteindra 5,6% du PIB en 2009 contre 3,4% en 2008. Le ratio dette publique/PIB représentera 73,9 en 2009 puis probablement 77,5 en 2010 contre 67,3 en 2008. Ne parlons pas du reste des indicateurs économiques…
Ou alors juste de ceux-ci. Histoire de donner les perspectives… L’indicateur du climat des affaires est en chute libre, à un record historique. Quand à l’indicateur de retournement de conjoncture… Il reste désespérément muet.
Et que croyez-vous que fit ce patron là ?
Il s’augmenta de près de 200%.
Notes :à ce propos, si le propriétaire de l’Elysée pouvait réfléchir à un moyen de donner congé à cet hôte incongru, la trêve hivernale étant terminée…
Un lien qui va dans votre sens :
http://www.e-torpedo.net/article.php3?id_article=2969&titre=De-la-violence-de-la-moralite-et
salutations