Nucléaire iranien : pire que pire
“Il faut se préparer au pire” et le pire, “c’est la guerre”, a indiqué Bernard Kouchner en répondant à une question lors de l’émission “Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI”. Une déclaration qui semble peu “diplomatique” et renvoie aux positions du ministre des affaires étrangères lors de l’invasion américaine en Irak.
“On se prépare en essayant d’abord de mettre au point des plans qui sont l’apanage des états-majors, et ça ce n’est pas pour demain”, a toutefois tempéré le ministre. “Nous devons négocier jusqu’au bout”, mais la possession de l’arme atomique par Téhéran serait un “vrai danger pour l’ensemble du monde”, a poursuivi Bernard Kouchner.
Cette position rappelle curieusement le discours de l’administration américaine à propos des ADM en Irak. On brandit le spectre d’armes particulièrement destructrices que des tyrans notoires auraient entre les mains et l’on justifie une invasion « préventive ». Le concept de guerre préventive dont les faucons américains sont les chantres a été largement décrit. Son application en Afghanistan et en Irak parle de lui-même. Il n’y a que George Bush pour voir des « succès » là où ne triomphent que le chaos, les attentats, les assassinats, etc. Bernard Kouchner s’est toujours placé sur un plan sensiblement différent : celui de droit d’ingérence humanitaire. Un concept que l’on doit au juriste Mario Betati, mais qu’il s’est approprié, médiatiquement, tout au moins. L’idée est d’éviter que des peuples soient livrés à leur sort et ne meurent dans l’indifférence internationale. A la communauté internationale, justement, d’agir, avec un mandat clair.
Dans les faits, les deux concepts -charmants sur le papier- sont généralement canibalisés par les motivations politiques des pays intervenants. Alan Greenspan, l’ancien gouverneur de la Réserve Fédérale, nommé à l’époque par Ronald Reagan (et que l’on ne peut donc pas soupçonner d’être un anarcho-communiste anti-Bush) vient par exemple d’écrire clairement dans un livre que “La guerre en Irak, c’est surtout une guerre pour le pétrole”. Les deux guerres préventives américaines ont coûté jusqu’ici quelque 610 milliards de dollars, selon le Congressional Research Service (CRS). De l’argent bien investi…
Les similitudes avec la période pré-guerre en Irak ne s’arrêtent pas aux déclarations sur les supposées ADM. Mohamed ElBaradei, patron de l’AIEA qui traite avec l’Iran comme Hans Blix avait traité avec l’Irak est l’objet des mêmes critiques sur sa gestion de la crise. Accusé d’être trop mou, de laisser du temps au grand méchant loup (l’Iran cette fois), ses tentatives de règlement supranational (ONU versus un pays) sont plombées très régulièrement, notamment par Washington.
L’autisme de Washington ne vaut probablement pas mieux que celui de Téhéran, mais l’on peut raisonnablement espérer, pour le bien de tous, un règlement pacifique des crises, avec un médiateur un peu plus calme que les parties prenantes…
Lâcher de Kouchner
De deux choses l’une, soit Bernard Kouchner a donné son avis sans l’aval du gouvernement français et a livré une analyse personnelle de la situation, soit il l’a fait en ayant des informations en provenance de l’Elysée et/ou de Washington. L’évocation de plans de guerre dans les états-majors renvoie tristement à la situation irakienne il y a quelques années. Bob Woodward (qui avait co-révélé le scandale du Watergate) en avait fait un livre.
Dans les deux cas, on peut s’interroger sur le manque de sang-froid de la part du ministre des Affaires étrangères. Et sur la légerté qui consiste à « lâcher » ce genre d’information au détour d’une question dans une émission de radio. Sans contexte, sans plus d’explications. Une sorte de dédain étonnant pour la population française qui serait en droit de comprendre de ses propos que les militaires français pourraient un jour être engagés dans une opération contre l’Iran. En outre, il est peu courant qu’un tel responsable politique aux affaires menace aussi clairement (même si c’est « implicite ») un pays tiers d’une guerre.
A part bien entendu aux Etats-Unis depuis l’élection de George Bush. Et l’on en vient ici à un trait particulier des néo-conservateurs qui déteint visiblement sur le gouvernement français via notre président. La capacité à nier une réalité. Les échecs cuisants en Afghanistan et en Irak par exemple, mais également un manque patent de compréhension des ressorts psychologiques et sociétaux dans certaines régions du monde. On ne peut retirer à Jacques Chirac ou François Mitterrand leur analyse très fine des événements dans les pays du proche et moyen-orient et partant, des relations bilatérales que la France entretenait avec eux. On ne peut en dire autant de George Bush ou Nicolas Sarkozy.
Cette incapacité à douter, cette certitude d’avoir raison contre le reste du monde engendre assez naturellement quelques attitudes comme le « j’ai été élu par le peuple [ajouter ici la nationalité souhaitée] pour agir, je n’ai de comptes à rendre qu’à lui » (sachant que le peuple ne peut sanctionner les conneries que 5 ou 10 ans après), ou « l’histoire nous donnera raison ».
On pourrait se réjouir de noter que lorsque les idées néo-conservatrices sont confrontées à la réalité, elles se révèlent être des inepties. Mais il convient de noter qu’entre temps, ce sont des milliers (millions ?) de personnes qui vivent les conséquences de leur application.
Chambao, Grupo Humano, La Blanche et Patti Smith ont accompagné musicalement l’écriture de cet article…
Mise à jour du 18/09/2007
Ses déclarations ayant provoqué un tollé que même Aporismes n’avait pas anticipé, Bernard Kouchner nous a offert une parfaite illustration du Règne du faux. “Je ne veux pas qu’on dise que je suis un va-t-en-guerre ! Mon message était un message de paix, de sérieux, et de détermination”, a-t-il expliqué aux journalistes qui l’accompagnaient à Moscou. “Préparez-vous au pire”, c’est à dire à “la guerre” est un message de paix, qu’on se le dise !
D’ailleurs qui entend des bruits de bottes ? Personne. Surtout pas le président du Conseil d’experts du comité non-gouvernemental de politique à l’égard de l’Iran (Iran Policy Commitee), ancien chef d’état-major adjoint de l’US Air Force, le lieutenant-général à la retraite Thomas McInerney. Voilà ce qu’il dit selon l’agence Novosti : “Décrivant différents scénarios vraisemblables d’action militaire conte l’Iran, M. McInerney a annoncé qu’une campagne aérienne de grande envergure de bombardement de l’Iran était à son avis la plus adaptée. Selon lui, un tel bombardement serait au départ mené par “65 ou 70 avions, construits selon la technologie “Stealth” ainsi que 400 avions classiques”. “Cette campagne aérienne de 48 heures est destinée à atteindre et à détruire les 2.500 sites nucléaires et les ouvrages de défense antiaérienne d’Iran, ses forces aériennes et navales, ses missiles de riposte “Shahab-3″, ainsi que son commandement, a déclaré le militaire.” En outre, ce gentil militaire proche des milieux conservateurs explique : “Nous possédons une nouvelle bombe super-lourde à grande pénétration de 30.000 livres (14 tonnes), qui peut réellement s’infiltrer n’importe où”. “Nous possédons une telle bombe. Je ne peux pas dévoiler quelle profondeur elle peut atteindre, mais l’Iran ne possède pas d’abri capable de protéger contre une telle arme”.
Encore un message de paix sans doute.