Mineurs délinquants, le début de la barbarie ?
Les politiques, de quelque bord qu’ils soient, sont des généralistes. Ils ont leur vision de la société qu’ils veulent façonner. Mais n’étant pas des experts de la multitude de sujets et de secteurs qui composent une société humaine, ils ne peuvent que se reposer sur des conseillers pour dessiner leurs programmes. Après quoi, ils traduisent en langage intelligible par le peuple ces propositions. Et y ajoutent autant de promesses, souvent intenables, qu’ils le peuvent, histoire d’assurer leur élection. Ils tentent de flatter telle ou telle partie de la population. Mais ils ne mesurent pas les répercussions, ou font semblant de ne pas les mesurer.
Avec son accord, nous laissons à un expert du monde judiciaire le soin d’expliquer en quoi la monomanie de Nicolas Sarkozy sur le thème de la récidive et des mineurs est un leurre visant à satisfaire « une certaine partie de la population ». Et en quoi ses réformes auront des répercussions terribles. Cet expert, Serge Portelli est magistrat, il est vice-président du tribunal de Paris, président de la 12ème chambre correctionnelle. Les textes que vous allez lire sont issus de son dernier ouvrage : « Nicolas Sarkozy : une République sous haute surveillance », qui fait suite à un précédent livre : « Traité de démagogie appliquée : Sarkozy, la récidive et nous ».
En matière de décryptage du règne du faux et de la Novlangue, Serge Portelli est expert, tout au moins dans le domaine qui est le sien, la justice. Comme nous l’évoquions dans cet article, on peut tenter de faire mentir les chiffres, mais ils ont cette particularité de faire jaillir la vérité si l’on prend la peine de les regarder de près. La loupe de Serge Portelli est décidément très puissante…
Le premier problème de sécurité.
« Le premier problème de sécurité qu’il nous reste aujourd’hui à résoudre, c’est l’affaire des mineurs » (Emission « à vous de juger » du 30 novembre 2006). « Lorsque je dis qu’un mineur de 2006 n’a plus grand chose à voir avec un mineur de 1945, ce n’est pas pour le dénoncer, c’est pour chercher un moyen de le préserver. Or l’ordonnance de 1945 ne nous le permet pas, même si elle a été retouchée à plusieurs reprises pour apporter des débuts de réponse à ce phénomène, et dernièrement encore en mars 2004. Il ne faut donc pas s’interdire des règles nouvelles. Je le dis solennellement, si nous continuons avec la même quasi-impunité garantie aux mineurs délinquants, nous nous préparons à des lendemains très difficiles, et nous n’aurons à nous en prendre à nous. Sur les dix dernières années, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 80%. Si ce n’est pas un signal d’alarme, je ne sais pas ce que c’est ». (Discours au Sénat, le 13 septembre 2006, lors de l’examen du projet de loi sur la prévention de la délinquance). « Et je demande une chose précise : qu’un mineur de 16 à 18 ans qui est un multirécidiviste, l’excuse de minorité lui soit supprimée pour qu’il soit condamné comme un majeur parce que pour Mama Galédou, cette jeune femme qui a été brûlée dans le bus de Marseille, être brûlée sur 62% de son corps… par un mineur ou un majeur, le résultat pour la victime est le même ». (Emission Riposte, la 5, le 10 décembre 2006). « Face aux actes de violences gratuits, face à la délinquance des mineurs, la réponse de l’autorité judiciaire doit être plus ferme. Si l’on excuse la violence, il faut hélas, s’attendre à la barbarie. C’est pourquoi j’ai souhaité une première réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. C’est pour répondre à cette violence de plus en plus dure, qui peut conduire les plus jeunes jusqu’au crime, que j’ai demandé des sanctions adaptées aux mineurs d’aujourd’hui. La loi sur la prévention de la délinquance constitue, à cet égard, un premier pas. D’autres étapes sont devant nous ». (conférence de presse du 11 janvier 2007, Ministère de l’intérieur).
Une élection et cinq années de gouvernement pour réformer la justice des mineurs
À écouter Nicolas Sarkozy parler de la délinquance et de la justice des mineurs, on se demande parfois si, depuis cinq ans, nous n’avons pas été victime d’hallucinations. 2001-2002 : le principal sujet de campagne n’a-t-il pas été l’insécurité ? Les deux principaux candidats de l’époque n’ont-ils pas déjà âprement discuté du sort à réserver aux mineurs délinquants précisément ? Dans cette bataille, que certains ont peut-être oubliée, Lionel Jospin proposait de créer de nouvelles structures d’hébergement des mineurs délinquants. Il était fier de dresser la liste des 51 centres d’éducation renforcés et des 43 centres de placement immédiat dont le nombre allait augmenter en cas de victoire. Il proposait de réformer l’ordonnance de 1945 pour tenir compte d’un contexte social profondément modifié en développant notamment l’accueil des mineurs dans des structures fermées. Jacques Chirac n’était pas en reste. Son programme était étonnamment proche de celui de la droite d’aujourd’hui. Que proposait-il ?
- « objectif : impunité zéro
- adapter l’ordonnance de 1945 sur les mineurs
- création de centres préventifs fermés pour les mineurs délinquants en instance de jugement
- création d’établissements éducatifs fermés pour les mineurs multirécidivistes… »
Après la victoire de Jacques Chirac, la droite, toute la droite, a mis en oeuvre les réformes promises. Depuis 2002, quatre réformes de l’ordonnance de 1945 ont été votées. Toutes ont le même objectif : modifier la philosophie de l’ordonnance de 1945, mettre fin à une soi disant impunité dont bénéficieraient les mineurs, calquer la justice des mineurs sur celle des majeurs, les faire juger plus vite, plus sévèrement, créer des structures fermées pour mineur… La loi « d’orientation et de programmation pour la justice » du 9 septembre 2002 dite « Loi Perben I » est la loi la plus aboutie en la matière. Elle contenait tout un titre (le titre 3) « portant réforme du droit pénal des mineurs ». 21 articles de cette loi modifiaient l’ordonnance de 1945 ! Toutes les dispositions de cette loi allaient dans le sens de davantage de répression. Les centres éducatifs fermés étaient créés. Apparemment toutes ces réformes faites par un gouvernement où Nicolas Sarkozy a été presque constamment ministre ne suffiraient pas. Les mineurs ont encore changé, il faudrait, cette fois-ci, les traiter comme des majeurs à partir de 16 ans et les mettre davantage en prison. Depuis 2002, leur impunité n’aurait donc pas cessé malgré tous les efforts du gouvernement et la délinquance juvénile aurait augmenté malgré la politique du ministre de l’intérieur.
Les mineurs de 2006 et ceux de 1945 : l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans.
« Croyez-vous réaliste qu’un jeune de 17 ans et demi, de 1m90, qui a commis des violences répétées, soit présenté devant un juge qu’on appelle un « juge des enfants ? » (Discours d’accueil des nouveaux adhérents de l’UMP du 25 mars 2006). « Comment expliquer à une grand-mère qui se fait agresser par un jeune de 17 ans et demi, qui fait 1m80, qu’il n’est pas responsable parce qu’il est mineur ? » (Discours du 3 juillet 2006). Les mineurs délinquants – ceux de 16/18 ans en tout cas – ont beaucoup changé », nous dit Nicolas Sarkozy qui évoque à loisir « des agressions à main armée, des viols, commis par des jeunes gens mineurs mais parfaitement adultes physiquement ». Ils n’ont « plus rien à voir » avec ceux de 1945. La jeunesse change ! Belle découverte ! Que n’a-t-on entendu ce discours, à tous les âges, à toutes les générations, à tous les siècles. Les « apaches » de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, ces bandes de jeunes désoeuvrés des faubourgs de Paris, violents, « assassins », « violeurs »… Les blousons noirs des années soixante, ces « géants » de l’époque, qui se déplaçaient en bande, de préférence en moto et terrorisaient les banlieues.
Emile Garçon, un des plus grands pénalistes du XXème siècle, écrivait en 1922 : « quoiqu’il en soit, le problème de l’enfance coupable demeure l’un des problèmes les plus douloureux de l’heure présente. Les statistiques les plus sûres comme les observations les plus faciles, prouvent, d’une part que la criminalité juvénile s’accroît dans des proportions fort inquiétantes, et, d’autre part que l’âge moyen de la criminalité s’abaisse selon ne courbe très rapide ». Effectivement l’adolescence est une période difficile de la vie. Difficile pour la société, pour les parents, les éducateurs… mais pour l’adolescent aussi. On a du mal à croire que les conseillers de Nicolas Sarkozy aient une vision si élémentaire de ce qu’est un mineur. On entend le ministre se gausser parfois de la taille de ces grands délinquants. Comme si ces 1m 90, voire 1m 80, qui l’effrayent tellement pouvaient avoir un rapport quelconque avec ce qu’est réellement un mineur. C’est d’ailleurs une des sources de la difficulté de cet âge que de s’habituer à vivre dans un corps qui le dépasse subitement. L’enveloppe change mais l’intérieur ne suit pas forcément. On ne devient pas majeur par l’effet de sa taille. La maturité ne se mesure pas en centimètre.
L’adolescent est un être qui est encore en grande évolution, en recherche d’une adaptation au monde. Cette recherche se fait souvent dans la douleur, parfois dans la violence contre les autres ou contre lui-même. L’opposition au monde des grands est une des composantes constantes de cet âge. C’est par sa vie sociale que le jeune va pouvoir accéder au statut d’adulte en abolissant les différentes dépendances qui le rattachaient à sa famille ou au milieu de son enfance. L’adulte, c’est celui qui arrive à vivre de façon autonome, à s’assumer. La France a déjà en 1974 (et non en 1945), modifié l’âge de la majorité qui est alors passé de 21 à 18 ans. La majorité pénale française est d’ailleurs celle de pratiquement tous les autres pays européens. Cet âge reste encore aujourd’hui une limite raisonnable entre le statut d’adolescent et celui d’adulte. Certes, dans leur comportement, les jeunes de 16/18 ans changent. Comment en serait-ils autrement compte tenu de l’évolution rapide du contexte social, culturel, économique… Mais si l’adolescent accède aujourd’hui plus tôt à certaines informations, s’il s’inscrit différemment dans la société, sa problématique de base reste la même. On peut même constater que son entrée dans le monde adulte se fait de plus en plus tard, que son « inscription sociale » prend de plus en plus de retard. Les amis de Nicolas Sarkozy veulent, en fait, abaisser l’âge de la majorité pénale à 16 ans et faire juger les mineurs de 16 à 18 ans par les tribunaux ordinaires. Tel est d’ailleurs le sens d’une proposition de loi que Christian Estrosi, l’ami fidèle du ministre, a déposé à l’Assemblée Nationale le 30 janvier 2001 (Proposition n°2895). L’article 1er de a proposition pénale était clair : « la majorité pénale est fixée à 16 ans ». Il faut savoir que tel est le projet réel du candidat actuel qui avance lentement sur ce terrain en le pilonnant préalablement à coups d’idées aussi simples que fausses. L’adolescent de 2007 reste un adolescent. Il reste le homard, qui, une fois sa coquille tombée, est obligé d’aller se cacher sous les rochers, le temps de sécréter une nouvelle coquille, vulnérable, incertain, compensant ses faibles défenses par des attitudes parfois excessives, parfois déviantes, parfois délinquantes. Mais peut-être faudrait-il aussi réécrire les textes de Dolto qui eux aussi commencent à dater. La taille des homards a sûrement dû changer..
L’acte ne définit pas le mineur
Un mineur sa définit par son âge, sa personnalité, ses structures mentales, son style de vie… Il est autre chose que la série de ses actes. On trouve dans le discours de Nicolas Sarkozy cette idée que l’acte posé définit son auteur et suffit à en cerner la responsabilité. Lorsque, en novembre 2006, dans une émission de télévision, il s’adresse sur un plateau à une femme chauffeur de bus, en la prenant à témoin de son indignation devant une agression commise à Marseille, il a cette curieuse phrase qu’il reprendra d’ailleurs ensuite inlassablement : « d’ailleurs, quand mama Galédou se retrouve à l’hôpital de la Timone à Marseille, qu’est-ce ça lui fait, à elle, de savoir qu’elle a été brûlée par un mineur ? Est-ce que vous croyez que c’est différent d’être brûlé par un majeur ? »
« Non c’est pareil ! » répond timidement son interlocutrice.
Curieuse façon d’aborder le problème des mineurs, et de la délinquance en général ! Le ministre se met à la place de la victime, et ne s’intéresse qu’à l’acte, en refusant de voir qui est l’auteur. On peut certes s’interdire de chercher à comprendre le pourquoi d’un crime ou d’un délit, ne rien vouloir savoir de la personnalité, du passé, du contexte de vie de son auteur, on peut toutefois difficilement refuser de regarder l’âge du délinquant, car c’est en fait nier non seulement la spécificité d’une quelconque juridiction pour mineurs mais nier la spécificité de l’enfance et de l’adolescence.
Qu’en est-il du droit des mineurs ?
Contrairement à ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, la France possède un droit des mineurs particulièrement sévère. Il est un des pays d’Europe où l’âge auquel la responsabilité pénale peut être retenue est le plus précoce : il s’agit, selon la loi française, de l’âge du « discernement », fixé habituellement, selon la jurisprudence aux environs de 7 ans. Dans les autres pays, il est plutôt autour de 14 ans (10 ans en Angleterre, 14 en Italie ou en Espagne). La France est aussi l’un des pays où de très lourdes sanctions peuvent être prononcées dès l’âge de 13 ans puisque à cet âge-là une peine de 20 ans de réclusion peut être infligée. Pour les mineurs de 16 à 18 ans, les mêmes peines que les majeurs peuvent être prononcées. Un mineur de 16 ans peut donc être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. A titre de comparaison, en Espagne, pour des mineurs du même âge, la peine maximum est un emprisonnement de 8 ans.
La procédure française prévoit donc une atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs qualifiée d’excuse de minorité. Cette institution que Nicolas Sarkozy veut supprimer mérite d’être expliquée rapidement. Elle consiste à diminuer de moitié la peine encourue par le majeur mais cette mesure ne joue pas du tout de façon automatique. Elle peut être écartée par le tribunal ou la cour d’assises « à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur » (article 20-2 de l’ordonnance de 1945). Et dans la pratique, il arrive fréquemment, en cour d’assises en tout cas, qu’elle soit effectivement repoussée. Elle l’a encore été récemment, en avril 2007 lorsque la cour d’assises des mineurs des Bouches du Rhône a condamné deux mineurs accusés d’avoir tué à coups de pierre une jeune femme de 23 ans, à 23 ans de réclusion chacun. Pourquoi ne pas faire confiance au tribunal pour enfants qui est composé, rappelons-le, de deux assesseurs citoyens, ou au jury de la cour d’assises ? Est-il inconcevable qu’un mineur de 17 ans qui a commis un crime sorte de prison à 32 ans plutôt qu’à 47 ? Faut-il rappeler au ministre de l’intérieur que Patrick Dils avant d’être acquitté en avril 2002 et d’être indemnisé par l’Etat d’une somme d’un million d’euros s’est vu refuser l’excuse de minorité alors qu’il avait 16 ans à l’époque où il était censé avoir commis les faits ? Il avait été condamné une première fois à la perpétuité en 1989 et à 25 ans de réclusion en 2001 !
L’explosion de la délinquance des mineurs ? Faux : la part de la délinquance des mineurs baisse depuis 1998
Nicolas Sarkozy affirme donc pour justifier son cri d’alarme permanent que la délinquance des mineurs a explosé. Il avance constamment le chiffre terrible d’une augmentation de 80% en dix ans. Il citait encore ce chiffre en septembre 2006 au Sénat. Voyons donc les chiffres. Ils ne correspondent absolument pas à cette version. En effet la part des mineurs dans la délinquance en France ne cesse de baisser depuis 1998. Cette année-là, les mises en cause de mineurs représentaient 21,8% du total. En 2005, derniers chiffres publiés, les mineurs n’en représentent plus que 18,15%. Nous avons retrouvé le niveau de 1980 ! De plus le chiffre 80% d’augmentation est lui aussi faux. Le nombre de mineurs augmente mais dans des proportions bien moindres. Si l’on prend la période des dix dernières années de 1996 à 2005 (dernière année statistiquement disponible pour le ministre quand il s’exprime en septembre 2006), on passe de 143.824 mineurs mis en cause à 193.663, soit une augmentation de + 49.839 mineurs, ce qui représente, par rapport à 1996, en pourcentage +34,6% et non +80% !. Nous pensons qu’en fait Nicolas Sarkozy, qui est pourtant très au fait de la moindre évolution statistique, a délibérément menti en prenant un chiffre retenu en 2002 par un rapport du Sénat sur la délinquance des mineurs. Les Sénateurs avaient relevé qu’entre 1992 et 2001, le nombre de mineurs mis en cause avait progressé de 79%. En définitive Nicolas Sarkozy serait bien inspiré d’affirmer que la délinquance des majeurs a augmenté plus rapidement ces dernières années que celle des mineurs, mais il lui faudrait revoir ses slogans. S’en tenir à la vérité, ce n’est pas refuser la réalité de cette délinquance, c’est refuser le mensonge.
L’aggravation de la délinquance des mineurs ?
Si les interpellations augmentent, la nature des infractions commises par les mineurs a-t-elle changé ? C’est ce que l’on nous serine en permanence : les mineurs sont plus grands, plus forts et leurs actes sont beaucoup plus violents. Nicolas Sarkozy reste par ailleurs focalisé sur un certain type de délinquance des mineurs, celle des quartiers difficiles. Il évoque sans cesse les mineurs « soumis au caïdat de leur quartier ». Mais la délinquance des mineurs est bien loin d’être réductible à la seule délinquance de groupe ou même à celle de quartiers sensibles. Tous les mineurs délinquants ne vivent pas en groupe, en bande ou en banlieue. Il s’agit d’une vision simpliste de plus.
Si l’on examine les infractions commises par les mineurs, pour une période de onze ans, de 1994 à 2004, les deux catégories d’actes les plus graves, les vols à main armée et les homicides ont diminué. Si on y ajoute les viols et les séquestrations, l’ensemble de cette délinquance très grave ne représente que 1% de la délinquance des mineurs. En réalité, la hausse de la délinquance des mineurs est avant tout due à l’augmentation considérable du nombre de vols simples (+78%), des vols à l’étalage (+40,8%) et des vols avec violence (+83,1). Autres augmentations considérables, les outrages et rebellions (de 1655 à 5179), les coups et blessures volontaires (de 5637 à 16791) et les usages de stupéfiants (de 3506 à 17989).
En 2005, le tableau suivant permet de bien mesurer quelle est l’importance des actes graves dans la délinquance des mineurs. Si l’on cumule les homicides, les coups mortels, les viols, les vols à main armée, les vols avec violence, ces infractions représentent 4,6% de la délinquance totale. Il est donc exagéré d’affirmer que les mineurs se livrent à des actes de plus en plus graves.
Les statistiques des condamnations prononcées par les cour d’assises en France sont un excellent indicateur de l’évolution de la gravité des actes de délinquance des mineurs. On constate un accroissement important jusqu’en 1999 du nombre de condamnations criminelles, mais depuis lors, sur une période de 6 ans, leur nombre semble s’être stabilisé dans une fourchette de 560 à 630
Au total, il apparaît que les mineurs commettent assez peu d’actes très graves. L’augmentation de cette délinquance grave s’est stabilisée depuis 1998/1999. Là non plus, il ne s’agit pas nier une réalité qui reste préoccupante mais de s’en tenir à une vérité qui se suffit à elle-même. Cette vérité c’est une frange de ces mineurs délinquants qui fait preuve d’une grande violence, violence dont il faut trouver les causes et qu’il faut traiter et sanctionner avec fermeté et clairvoyance.
« La quasi-impunité garantie aux mineurs délinquants ». Un déluge de mensonges.
Le mensonge le plus dangereux concerne le traitement actuel de la délinquance des mineurs et le rôle de la justice des mineurs. Nicolas Sarkozy affirme à longueur de discours que la justice des mineurs est laxiste, qu’elle cherche trop à comprendre, qu’elle ne punit pas assez et que cette impunité est une calamité. Décidé à faire croire que les juges des enfants sont laxistes, il ose dire que des mineurs auteurs de viol ou de main à armée sont punis d’une admonestation ou d’une simple remise à parents. N’importe qui d’autre oserait soutenir un tel mensonge se verrait aussitôt rappelé à l’ordre, ne serait-ce que par le ministre de la justice. Le ministre de l’intérieur semble avoir tous les droits. Peut-être ses mensonges sont-ils si énormes qu’ils laissent sans voix. On relit à deux fois ses phrases pour être bien sûr que c’est un ministre qui parle et qu’il ne s’agit pas d’une discussion de bistro. Non, c’est bien au Sénat qu’il s’exprime le 13 septembre 2006 : « face à cette réalité, nous vivons dans la culture de la répétition de mesures comme l’admonestation ou la remise à parents ; comment espérer que ces mesures aient un quelconque effet pour des faits aussi graves que des agressions à main armée, des viols… » Le ministre de l’intérieur va d’ailleurs très loin, accusant la justice de non assistance à personne en danger : « j’ajoute que c’est de la non assistance à personne en danger que de ne pas sanctionner un mineur quand il fait quelque chose de grave au prétexte qu’il est mineur. Car on l’encourage à s’enfoncer dans la délinquance la plus forte » (Emission A vous de juger du 30 novembre 2006).
La réalité judiciaire est assez simple à analyser. Ces dernières années, les procureurs de la République traitent avec plus de sévérité les mineurs. Rappelons ce qu’est le travail d’un procureur de la République. Il écarte d’abord les affaires qui « ne tiennent pas ». En 2005, 25.000 procédures traitées par la police ont ainsi été écartées tout simplement parce qu’il n’était pas possible, en droit, de les poursuivre. 20.000 ont été écartées parce que les procureurs de la République estimaient que le préjudice était peu important, que les recherches étaient infructueuses, que le plaignant s’était désisté… Les parquets procèdent donc à beaucoup moins de classements sans suite comme le montre le tableau suivant.
Les parquets veulent absolument donner une réponse pénale aux infractions portées à leur connaissance. Ils utilisent beaucoup les alternatives aux poursuites pour des affaires qui, auparavant étaient simplement classées sans suite. Ces alternatives, ce sont des rappels à la loi, des procédures de médiation-réparation. Elles sont en forte hausse depuis 2000.
Quant aux poursuites – devant le juge des enfants, le juge d’instruction, ou, depuis peu, directement devant le tribunal pour enfants, elles sont remarquablement stables depuis 2000. Leur nombre oscille autour de 58.000 chaque année. Simplement parce que la délinquance des mineurs depuis 2000 ne mérite pas davantage de poursuites.
Quant à dire que les mineurs ne vont pas assez en prison, il y a quelque incohérence à le regretter alors que la principale innovation de cette dernière législature a été de créer des centres d’éducation fermée qui avaient vocation à remplacer la prison dans des cas graves de délinquance répétitive. Ces centres se sont ouverts progressivement, souvent dans la difficulté, mais ils existent, de plus en plus nombreux. Ils ont eu pour effet de faire effectivement baisser dans un premier temps puis de stabiliser le nombre de mineurs détenus. Mais cet effet est voulu et le ministre de la justice n’en est pas peu fier ! 20 de ces centres étaient déjà été ouverts en novembre 2006, 20 autres sont prévus en 2007 et 4 en 2008 pour environ 500 places au total. Il reste que la détention des mineurs est relativement stable depuis 1999. Au premier janvier de cette année-là, il y avait 714 mineurs en prison. Il y en avait 721 au 1er mars 2007.
Quant aux peines prononcées, elles sont sévères et le recours à l’emprisonnement n’a pas faibli, loin de là. C’est la prison qui sanctionne presque systématiquement les crimes. Quant aux délits, pour presque la moitié d’entre eux (40%), les tribunaux pour enfants prononcent des peines d’emprisonnement avec ou sans sursis. Les mesures éducatives, elles, ont augmenté en nombre mais pas en proportion. Elles ne représentent plus que la moitié des sanctions : 50,3% en 2004 contre 54,6% en 1994.
Nous sommes donc, là encore, très très loin du laxisme dénoncé.
Les affaires de Bobigny
Lorsque Nicolas Sarkozy ne dénonce pas le laxisme général des juges des enfants, il s’en prend nominativement à tel ou tel. Ces derniers temps, sa bête noire était le tribunal pour enfants de Bobigny. Innovant dans les rapports du politique et de la justice, le ministre de l’intérieur n’hésitait pas en juin 2006 à écrire au président de ce tribunal en citant des exemples du soi disant laxisme des juges. « Comment expliquer à cette femme handicapée de 56 ans, brûlée vive à Sevran parce qu’elle en pouvait s’extraire de son bus incendié par trois mineurs de 16 ans, que ceux-ci ont été laissés en liberté par votre tribunal à l’issue de leur interpellation par la police ? » C’était un mensonge pur et simple : ils étaient en détention depuis plusieurs mois quand le ministre de l’intérieur écrivait. Autre mensonge : « ce mineur de 17 ans, déjà mis en cause 55 fois dont 12 fois pour vol avec violence, et laissé en liberté par votre tribunal après avoir roué de coups un chauffeur de bus qui refusait simplement de s’arrêter entre deux arrêts ? » En fait, il était en prison. Entre 2002 et 2005, le nombre de mineurs incarcérés par le tribunal de Bobigny avait augmenté de 23%.
Les principes républicains concernant la justice des mineurs
La France ne vit pas sur une planète isolée. Nous nous inscrivons dans une histoire et une tradition. Nos enfants, même ceux qui ont failli, ont droit au respect de notre culture et de notre identité. La violence actuelle des mineurs n’est que le reflet de la violence globale de notre société. Même si leur part dans la délinquance globale diminue, cette part-là reste préoccupante. Mais il n’y a aucune raison de rejeter nos valeurs. Encore moins quand les raisons invoquées sont fausses. Or la tradition française est ancienne et sage. Elle résulte d’une longue maturation de près d’un siècle et demi. Il est apparu à la fin du XIXème siècle que les enfants et les adolescents ne pouvaient pas être punis de la même façon que les adultes. Tout simplement parce qu’il s’agit d’êtres en profonde évolution et qu’ils n’ont pas la même conscience de leurs actes. Presque tous les pays du monde en ont conclu qu’ils relevaient d’un régime particulier, de tribunaux spécialisés, plus aptes à comprendre leurs problèmes spécifiques. Tout comme la médecine, la psychiatrie, la psychologie ont développé des branches particulières dédiées à l’enfance et l’adolescence, la justice des mineurs a été créée au début du XXème siècle. Au niveau international, nombre de conventions ont traduit ce principe. L’article 14 alinéa 4 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques dispose que « la procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l’intérêt que présente leur rééducation ». La Convention internationale des droits de l’enfant (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1989, entrée en vigueur en France en septembre 1990, et qui a fait l’objet d’une adhésion ou d’une ratification de près de 200 pays) invite les Etats parties, dans son article 40, à « promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infractions à la loi pénale ».
En France le Conseil Constitutionnel a rappelé, le 29 août 2002, à l’occasion de l’examen de ce qui allait devenir la loi du 9 septembre 2002, un « principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ». Ce principe s’articule autour de deux règles :
« l’atténuation de la responsabilité pénale de mineurs en raison de leur âge la nécessité de « rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquant par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».
Une autre politique des mineurs
Une autre politique est possible. Il faut pour cela, regarder avec calme, et un peu de sérieux, le problème de la délinquance des mineurs, en cessant d’en faire un débat électoral permanent. Il est très facile d’attiser la peur des jeunes et de les prendre pour cible facile de l’opinion publique. Michèle Alliot-Marie elle-même, ministre de la défense, disait « trop souvent nous avons laissé s’insinuer l’idée pernicieuse qu’un jeune était un délinquant en puissance ». Beaucoup prétendent que le droit des mineurs est dépassé sous prétexte que le texte de base date de 1945. Mais il a depuis lors connu au moins une vingtaine de modifications. Faut-il condamner le code civil parce que la première ligne en a été écrite au début du XIXème siècle ? Peut-être est-il nécessaire de réécrire cette ordonnance de 1945 mais en gardant les principes généraux et notamment la primauté de l’éducatif sur le répressif. Cette réécriture pourrait être l’occasion d’un vrai grand débat où seraient enfin consultés tous les professionnels de l’enfance et de l’adolescence.
En attendant les vraies réformes sont d’ordre budgétaire de façon à donner à la justice ordinaire des mineurs les moyens de fonctionner normalement et à lui rendre son efficacité et son effectivité. Les délais d’attente imposés au juges des enfants pour placer un mineur sont intolérables, décourageants et dangereux. L’effort est actuellement mis sur les centres éducatifs fermés. Mais il existe des structures infiniment moins lourdes et moins coûteuses. Ainsi, les centres éducatifs renforcés plus souples et majoritairement implantés en zone rurale ou dans de petites villes et dont le coût de journée est de 373€, celui des centres éducatifs fermés étant de 560€. Ce sont en fait les structures de placement ordinaire, les centre d’action éducative avec structure d’hébergement et les centres éducatifs de placement immédiat qui doivent être renforcées. Compte tenu du retard pris depuis cinq ans par rapport aux promesses faites en 2002, ce sont 500 postes nouveaux d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse qui devraient être créés chaque année pendant 10 ans pour que les décisions de la justice des mineurs entrent effectivement en application en temps et en heure.
Il convient aussi de mieux réfléchir au contenu de l’action éducative. Il ne suffit pas de créer des structures nouvelles et de proclamer que l’on crée des centres fermés. Encore faut-il un réel programme rééducatif. La charrue a été mise avant les boeufs. Le politique a d’abord pensé au contenant, sans se poser la question du contenu : enfermé, certes, mais pour faire quoi ?
Enfin, parmi toutes les mesures que le tribunal pour enfants peut prononcer, la réparation doit être privilégiée. Il s’agit d’une mesure immédiatement compréhensible pour le mineur, mais aussi la victime et la société. Il est indispensable de favoriser et d’amplifier l’action des associations qui aujourd’hui prennent en charge ces mesures-là. Un réseau national d’associations habilitées comme il en existe aux Pays Bas permettrait, là encore, d’améliorer la mise en oeuvre rapide des décisions de justice.
Aujourd’hui, le juge peut placer un mineur en prison simplement par la vertu de sa signature au pied de son jugement : sa décision est exécutée dans l’heure. S’il décide de le placer dans un foyer, il doit consulter la longue liste d’attente et patienter quelques mois. C’est à cette dérive qu’il faut mettre fin.
Serge Portelli