Les nouveaux terroristes
Il s’est passé quelque chose en France le 6 mai. Quelque chose de grave. De très grave même : la France est entièrement devenue sarkozyste.
Attention pas à 53% et des bananes. A 100%. Pas d’exception. Nous avons bien sûr tous assistés à des coming-out spectaculaires dans notre entourage. Sans honte, ni retenue, certains s’affichent en vainqueurs. Et vae victis. Mais oserais-je demander : où sont passés ces vaincus ? Dans la clandestinité ?
Suis-je passé à côté d’une Saint-Barthélemy umpiste ? Tournais-je le dos à la fenêtre lorsque passaient les hordes de jeunes sarkozystes portant les têtes des socialistes au bout de piques en revenant de la Concorde ? Non ? Ben alors pourquoi ce raz-de-marée de la pensée droitière unique ?
Pourquoi ces conversions obligatoires, ces ralliements forcés. Toute opposition semble interdite. Toute pensée contraire à la ligne libérale semble éteinte.
Au cours de discussions post-électorales, je fus accusé de faire dorénavant partie de l’anti-France, des saboteurs du progrès social, des lèvent-tard, des suppôts du RMI, de la vermine soixante-huitarde, des ennemis de la croissance, j’en passe et des moins reluisantes. Dans une mémorable tentative d’exorcisme politique, un converti de frais est allé jusqu’à me brandir sa carte de l’UMP à la face. Vade retro ! Bref sous prétexte que le Naboléon du Neuf-Deux a triomphé de la Ségo du Poitou, il n’y aurait pas d’alternative à la soumission aux idées du vainqueur. Courbe la tête fier Sicambre, brûle ce que tu as adoré et adore l’agité de la Jatte. Les procès de Moscou à côté c’est « avocats et associés ». Il faut avouer son erreur et se couvrir la tête de cendres. L’auto-flagellation serait appréciée à condition de ne pas aimer ça. Faites serment d’allégeance aux nouvelles valeurs de notre chef suprême !
C’est bien la première fois qu’idéologiquement le résultat d’une élection en France ressemblent autant aux suites d’un coup d’état sud-américain. L’opposition devient suspecte, la rébellion interdite, le doute criminel. Je sens qu’on est à deux doigts de remonter la gégène de la cave pour faire avouer d’innommables compromissions centristes. Ambiance de guerre de religions… Les vaincus doivent se convertir, se kouchner devant le vainqueur, s’agenouiller et embrasser sa breitling. En un mot comme en cent, il faut absolument y croire. Et tout mécréant est un ennemi de la république, un vil saboteur, un nouveau terroriste en Sarkoland. Ahurissant !
Hé ben non ! Je clame mon opposition, je revendique mon apostasie, j’entre en résistance idéologique et je refuse de m’incliner pour être à sa hauteur. Et tiens, j’arrête le jogging. Vous pouvez mettre votre Nokia à jour et me rayer de votre filofax relié pleine peau, si ça vous chante, je n’ai aucune intention de renier mes convictions et de me mettre à croire en des lendemains sarkozystes qui chantent. Je consentirai éventuellement à retourner vos appels lorsque sarkocufiés jusqu’à l’os vous viendrez quémander mon pardon et louer ma clairvoyance sur mon répondeur.
Et croyez-moi (ou pas), ça ne devrait pas tarder.